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Dans
nos démocraties tempérées, le coup
d’État est presque passé de mode. Ce
sont
désormais les jeunes démocraties africaines,
américaines ou asiatiques qui sont
régulièrement confrontées à
ces pratiques, avec les ravages que l’on sait. Mais
n’oublions pas que l’expression
« coup
d’État » est née en
France
avec le 18 Brumaire et qu’elle fait désormais
référence dans toutes les
langues, sous tous les continents, plus encore que le
« putsch »
suisse allemand ou le
« pronunciamento »
espagnol. C’est donc un objet de notre histoire
européenne qui mérite toute
notre attention, car il révèle la
fragilité de nos systèmes
démocratiques, la
face obscure de nos équilibres politiques et
institutionnels.
C’est
pourquoi, à l’instar de Karl Marx, historien du 18
Brumaire, ou de Curzio
Malaparte, qui publiait en 1931 un essai sur La
Technique du coup d’État, plusieurs
spécialistes nous donnent
des points de vue éclairés sur ce
« moment » politique aux
multiples
facettes. Jacques-Olivier
Boudon (Paris IV) revient sur le 18 Brumaire, dont il
est l’un des historiens reconnus, en soulignant le
rôle de Lucien Bonaparte,
dont les manœuvres et les discours comptèrent au
moins autant que le prestige
de son frère Napoléon. Éric Anceau
(Paris IV), historien du Second Empire,
rappelle à quel point le 2 décembre est un
événement Janus, légitime à
l’époque
pour la majeure partie des Français mais fondateur
d’une
légende noire dans la
tradition républicaine. Jean Garrigues
(Orléans), spécialiste de la Troisième
République, montre que le fantasme du coup
d’État boulangiste alimente aussi
bien la contre-propagande républicaine que la nostalgie des
droites
antinationalistes de l’entre-deux-guerres.
L’historien allemand Horst Möller
(Munich), spécialiste de la République de Weimar, analyse en
détail les référents, les
motivations et les circonstances du fameux putsch de la brasserie, qui
marque
en 1923 l’émergence de Hitler sur la
scène politique allemande. L’historien
italien Alessandro
Giacone (Grenoble) dévoile un pan
méconnu de l’histoire
italienne récente, « le plan
Solo », ourdi en 1964 par le président
de la République Antonio Segni afin de préparer
une sorte de putsch préventif
contre un éventuel danger de révolution
communiste. Enfin Matthieu
Trouvé (IEP
Bordeaux) nous offre une lumineuse synthèse sur la culture
du pronunciamento
comme révélateur de la fragilité du
processus démocratique espagnol.
À
ce dossier européen s’ajoutent trois
« varia » consacrés
à la France : Éric Nadaud
(Orléans) raconte l’itinéraire du
député aveugle Élie Bloncourt,
militant du socialisme unitaire depuis l’entre-deux-guerres
jusqu’à la Ve
République ; Stéphane
François (CNRS/EPHE)
s’intéresse à
« l’écologie
néopaïenne » de la Nouvelle
Droite française ; enfin, Thierry Barboni
(Paris I) s’interroge sur l’impossible
coopération entre le parti socialiste et
son groupe parlementaire sous les présidences de
François Mitterrand.
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