> Éditorial  Jean Garrigues
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La présidentielle a cinquante ans.

Il y a un peu plus de cinquante ans, le 19 décembre 1965, le général de Gaulle est élu président de la République au second tour de scrutin, avec 55,1% des suffrages exprimés.

Cette élection constitue une grande première, et ce à plus d’un titre. D’abord, et c’est le plus important, parce qu’elle a lieu pour la première fois au suffrage universel direct, masculin et féminin. Louis-Napoléon Bonaparte, élu le 10 décembre 1848, n’était que le président des Français, pas des Françaises. Désigné par un collège de 81 764 grands électeurs, le 21 décembre 1958, le général de Gaulle rassemble en 1965 plus de 12,6 millions de suffrages, ce qui lui confère la légitimité populaire dont il rêvait. Mais, et c’est la deuxième innovation politique de ce scrutin, il a été poussé au ballottage par François Mitterrand, candidat de la gauche unie, qui recueille plus de 10,5 millions de voix, soit 45,49% des suffrages exprimés. Corollaire de la présidentialisation de la vie politique française, la bipolarisation est née. Enfin, troisième innovation, cet avènement du régime présidentiel bipolaire se fait sous l’œil des caméras de télévision, témoins privilégiés d’une campagne à l’américaine, où la personnalisation et le marketing politique apparaissent comme des composantes désormais essentielles de l’élection. Un demi-siècle plus tard, il nous a paru intéressant de faire le bilan de cette élection fondatrice et de sa postérité.

Plusieurs acteurs de notre histoire électorale ont accepté de nous livrer leurs témoignages : Michel Bongrand, l’homme qui fit en 1965 du candidat centriste Jean Lecanuet le «Kennedy français » ; Jean Foyer, gaulliste historique, qui vécut aux premières loges l’élection de 1965 ; Edouard Balladur, conseiller de Georges Pompidou avant et après l’élection présidentielle de 1969 et lui-même candidat en 1993 ; Claude Estier, qui fut de toutes les campagnes de François Mitterrand ; enfin André Lajoinie, candidat du parti communiste à l’élection présidentielle de 1988.

En contrepoint de ces témoignages, historiens et politistes nous offrent leurs réflexions. Serge Berstein fait le bilan d’un demi-siècle d’élections présidentielles. Olivier Rouquan décrypte la stratégie « charismatique » du général de Gaulle en 1965. Mikaël Gérard s’intéresse aux campagnes des candidats sans parti. Sophie Chatonnay analyse le rôle de l’image dans la campagne présidentielle de 1981. Quant à Bastien François, il s’interroge sur la pertinence démocratique de l’élection du président au suffrage universel.

Enfin, dans la partie magazine de ce numéro, Bruno Fuligni nous rappelle que Victor Hugo se serait bien vu président de la République en 1848, et Alexandre Borrell nous présente les grands discours de la campagne télévisée de 1965. On sait que l’exilé de Guernesey, après avoir soutenu la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte, est devenu l’adversaire le plus farouche du prince-président. Qu’aurait-il pensé de la république présidentialisée et de ses dérives ? Ce numéro de Parlement(s) nous fournira peut-être quelques éléments de réponse.