> Éditorial  Jean Garrigues
  retour au sommaire

   

« On a pu soutenir, sans paradoxe, que le paysan est actuellement le maître de la France », écrivait Elisée Reclus dans sa Nouvelle géographie universelle, en 1877, au début de cette Troisième République qui allait consacrer la démocratie des paysans. Jugement lapidaire, peut-être excessif, mais qui suscite en tout cas bien des questions. En effet, s’il est un moment de l’histoire européenne où l’influence du monde rural est décisive sur les bouleversements et sur les évolutions de la vie politique, c’est bien ce second XIXe siècle qui est au cœur du programme d’histoire contemporaine des concours du Capes et de l’Agrégation.

Parlement[s], la seule revue d’histoire entièrement consacrée à la vie politique, se devait de consacrer un numéro aux enjeux et aux formes de cette influence. Fidèle à notre tradition d’ouverture au politique, nous avons demandé au député Michel Raison, ancien exploitant et syndicaliste agricole, de nous faire part de son expérience d’élu de « terroir ». Par ailleurs, l’ancien Premier ministre Michel Rocard a accepté de nous accorder un entretien exclusif sur son rôle au ministère de l’Agriculture. Deux témoignages, deux expériences passionnantes, mais aussi deux éclairages rétrospectifs sur les caractères politiques rémanents de la société rurale, qui nous renvoient directement à la question des concours.

Ce numéro a été conçu à la fois comme une complément de réflexion en vue des épreuves écrites et comme une source d’informations en vue des épreuves orales. Dans une perspective synthétique, Jean Vigreux et Corinne Marache nous proposent l’un et l’autre, chacun à sa façon, des analyses sur les processus de politisation, d’acculturation et d’intégration des campagnes françaises à l’espace politique national, de 1830 à 1930. Frédéric Fogacci pour l’Italie et Edouard Husson pour l’Allemagne s’inscrivent dans une démarche similaire, tout en proposant les pistes historiographiques les plus récentes en vue des épreuves orales.

David Bensoussan nous offre en revanche une étude de cas régionale, tout à fait archétypique, consacrée à l’influence de la noblesse dans les campagnes bretonnes sous la IIIème République Dans le même registre régional, Maria-Teresa Pérez-Picazo détaille un archétype totalement opposé, celui de la paysannerie andalouse de 1830 à 1939. Enfin, Jean Sagnes, spécialiste incontesté de la grande crise viticole de 1907, l’aborde dans la partie Magazine de Parlement(s) sous l’angle inédit des débats parlementaires.

« On pense bien qu’il ne faut pas chercher de lumières dans une pareille population », écrivait Charles de Rémusat en évoquant les ruraux de Haute-Garonne, dans ses Mémoires des années 1830. Parions que ce numéro aura prouvé le contraire.