|
Depuis
mai 1981, l’exercice du pouvoir par la gauche dans
la durée, les cohabitations, les alternances
répétées, ont
déplacé les lignes
de fracture politique de la société
française déjà mises à mal
en 1958 par
l’apparition du gaullisme. À droite, le paysage
politique s’est simplifié, avec
un parti dominant affirmé et
l’intégration qui semble durable des centres.
À
gauche, le succès de la
« stratégie
d’Épinay » (inversion du
rapport
de force socialistes-communistes au profit des premiers) et
l’effondrement du
monde communiste ont fermé une longue parenthèse,
celle de la domination
communiste commencée en 1936 et affirmée depuis
la Libération. Elles placent le
Parti socialiste comme la seule force
« d’alternative »
à la droite
lors des scrutins, dans un paysage social fragmenté,
où les utopies collectives
servent largement de repoussoir. Pourquoi dès lors revenir
sur le temps du
Front populaire ?
Le Front populaire constitue un moment exceptionnel
dans
l’histoire contemporaine française, en termes de
mobilisation politique ou de
confrontation sociale et symbolique. Temps de radicalisation et de
bipolarisation accélérée,
prolongé par les déchirements de la
Deuxième Guerre
mondiale, il est aussi longtemps resté un objet
d’histoire controversé.
Cependant, sa place particulière semble
s’être estompée progressivement.
Ce colloque se veut une
réflexion sur le
Front populaire
dans sa dimension politique et sociale, mais aussi un regard sur
l’historiographie de celui-ci. Entre le milieu des
années
soixante, avec les
grands colloques organisés par la Fondation nationale des
sciences politiques
et celui des années quatre-vingt, ce temps du Front
populaire a
fait l’objet de
lectures historiographiques dynamiques, des colloques
consacrés
à Léon Blum
chef de gouvernement à ceux qui ont
été
suscités par le cinquantième
anniversaire de 1936. Depuis, il n’y a pas eu de grandes
publications ou
rencontres sur ce sujet, mise à part la parution de livres
de
synthèse
(Danielle Tartakowsky, Serge Wolikow, etc.), et de diverses productions
dans
des collections grand public. Par ailleurs, une mémoire
partisane a longtemps
été dynamique, à gauche
principalement. Mais,
après l’échec électoral de
la
gauche en 1986 et l’effondrement du bloc communiste, le
regard
partisan et
historique a probablement changé. En 1996, le
soixantième
anniversaire de
l’événement a été
pratiquement
occulté. À l’orée de 2006,
aucune initiative
commémorative majeure n’est annoncée.
Chaque partie
sera l’objet d’un cahier
des charges demandant aux intervenants de préciser les
enjeux de
sources et de
mémoire, en conclusion notamment.
Pourtant, de nombreux
éléments existent pour essayer de
renouveler ou en tout cas d’interroger cette histoire
d’un événement majeur
dans l’histoire politique du XXe
siècle. Divers éléments concourent
à revisiter la période du Front populaire aux
plans politique, social et
culturel.
Tout d’abord, on sait que
l’apport des archives nouvelles
n’a pas été ce que l’on a
parfois
affirmé. Mais néanmoins, des archives ont
été
exhumées ou sont désormais accessibles, notamment
avec le
retour d’archives
françaises d’URSS et avec les fonds
soviétiques
découverts à Moscou. Visibles
depuis le début des années quatre-vingt-dix
à
Moscou pour les fonds
soviétiques, ou entrouvertes depuis le transfert en France
des
archives de la
Sûreté nationale et de divers autres fonds (par
exemple,
archives de la CGT ou
de la Ligue des droits de l’homme), ces montagnes de
documents
ont fait l’objet
de fantasmes et de controverses qui se sont progressivement
éteints. Peut-on, à
la lumière des travaux soutenus ou en cours, tirer un bilan
de
leurs apports à
la recherche ? Cette question devra être
abordée par
les différents
communicants.
Ensuite,
l’étude croisée des formations de
gauche et de
droite est aujourd’hui possible. En effet, des travaux
importants ont été
soutenus sur le communisme français, les partis de droite,
les ligues de droite
et de gauche, le PSF, les Chemises vertes ou les grandes organisations
de la
gauche démocratique. Faire
un point sur
ceux-ci et les confronter paraît sinon une obligation, tout
au moins une
opportunité. Pour la gauche, mieux connue dans sa
diversité, l’approche
privilégie les rapports internes et
l’étude à la base dans les
régions et dans
les organisations unitaires.
D’autre part,
les problématiques ne se sont-elles pas
déplacées
avec ce qu’il a été convenu
d’appeler la faillite des grandes idéologies ?
Plus
globalement, la coupure droite-gauche, qui ne peut être
niée effectivement pour
cette période, est-elle pertinente d’un point de
vue méthodologique alors que
ces années voient s’affirmer les conventions
collectives, le rôle de
hauts-comités, le renforcement de
l’État ? Les rapports entre les
dynamiques sociales et politiques feront l’objet
d’attentions spécifiques.
Enfin, un article pionnier
de Philippe Burin sur les symboles
politiques avait déjà montré au
début des années quatre-vingt que ceux-ci se
répondaient, s’inscrivaient dans un univers
global. Les implications
culturelles ne peuvent être négligées.
Une des ambitions de ce colloque sera de
rassembler des écoles de recherches dynamiques mais trop
souvent isolées. Pour
cela, des communications seront à deux voix ou se
répondront.
Il aura pour ambition de
dépasser le cadre
parisien qui a
trop souvent servi de référence principale, voire
unique,
en suscitant une
série d’interventions sur la
réalité du
phénomène dans différentes
régions ou
départements de France.
Il nous a fallu faire des choix pour tenir ces
réflexions sur trois journées. Outre les jeux et
enjeux de mémoire qui ont été
évacués de ce colloque, méritant
à eux seuls au moins une journée
d’étude, ont
ainsi été écartés,
à regret, les aspects internationaux, avec notamment la
question du choc de la guerre d’Espagne, les questions de
genre et celle de la
place de la jeunesse.
|